Abdellatif Kechiche

3 heures plongé dans la vie d'Adèle, et c’est magnifique. Comme toujours avec Abdellatif Kechiche, on a droit à des portraits d’une incroyable subtilité sur l’adolescence, la jeunesse et l’éducation sentimentale qui va avec. La jeune actrice qui assure le rôle d’Adèle est juste éblouissante, j’en suis restée bouche bée.

Kechiche dirige remarquablement bien ses acteurs, le cadrage est excellent et au plus près, au point que l'on fait corps avec le corps physique et l’intensité émotionnelle des personnages. Jusqu’à la gêne parfois. Les longues scènes totalement explicites (et superbement filmées) pendant lesquelles les deux jeunes femmes protagonistes font passionnément l’amour posent un peu question sur le degré de ce qui est demandé aux actrices, et donc sur leur consentement et leur prise de conscience du résultat final sur l’écran. Elles sont surexposées, en pleine lumière (pas d’ambiance tamisée qui réduirait la crudité des scènes).

Mais un réalisateur est forcément voyeur. Kechiche l’est juste plus que les autres (il utilise à peu près le même procédé dans son dernier film « Mektoub my love ») et entraîne le spectateur à être lui-même encore un peu plus voyeur que d'ordinaire. C’est gonflé et assez transgressif. C’est aussi ce qui fait la force et la beauté de son cinéma.… (mere)

Nous sommes à Sète, en 1994, parmi un groupe de jeunes gens et une famille tunisienne, sympathique smala pleine de vie qui tient un restaurant. Le film de Kechiche est un hymne à la jeunesse, à la beauté des corps, à la sensualité, au désir, à la lumière d'été du Midi. Il offre à la fois une légèreté et une liberté devenues trop rares au cinéma. Et il y a l'empreinte inimitable de Kechiche qui ose présenter 2h50 d'une suite de scènes parfois très longues (sans fin au sens propre du terme) où les corps se frôlent, dansent, s'ébattent dans l'eau, font l'amour. C'est comme toujours bavard et on se demande même au début si l'on va supporter les papotages post-adolescents qui se fendent d'un " c'est cool " à tout bout de champ. Ce serait sans compter le talent et la grâce du réalisateur qui parvient à nous faire avaler tout ça sans grande difficulté, tant il sait presque nous faire oublier qu'on est au cinéma. Comment parvient-il en réalité à diriger ses comédiens pour qu'ils débordent à ce point de naturel (au point que ça en sonnerait faux à certains endroits) et qu'on ait l'impression d'une improvisation quasi permanente, d'une caméra intrusive dont on laisserait tourner le moteur ?
Il n'a pas son pareil non plus pour dénicher ses comédiens. Ophélie Bau, Vénus callipyge qui crève l'écran en foulant pour la première un plateau de cinéma , exhale avec ses formes qui débordent de ses vêtements une sensualité torride. Le film apparaît d'ailleurs comme une ode aux fesses rondes des femmes, à cette chair vibrante filmée au plus près. La beauté des femmes est ainsi exhibée aux antipodes des stéréotypes de la maigreur anorexique dictée par le canon de la mode. Kechiche semble nous dire que c'est le cul des femmes -et le cul tout court- qui fait tourner le monde. Le voyeurisme est omniprésent et se cristallise à travers le personnage d'Amin, jeune éphèbe sage qui se contente d'observer et qui se passionne pour la photographie. Dans une belle et longue scène, on le voit attendre muni de son appareil-photo la mise à bas d'une brebis à la nuit tombante. Tableau inattendu d'une sorte d'origine du monde -en version animale- et de l'innocence en miroir, celle de l'agneau et d'Amin, en jeune homme qui tord le cou au mythe selon lequel la ville corromprait. Paris, la ville où il a passé une année entière pour y abriter ses aspirations artistiques- ne lui a encore rien enlevé de sa pureté.
Désir et séduction, les deux moteurs d'un film qui se veut au plus proche de la vie, et qui ne pouvaient pas mieux s'exprimer qu'au zénith des années de jeunesse. Kechiche donne à voir des tranches de vie d'un marivaudage solaire, au sens propre et figuré -la lumière est fort bien mise à profit, du lever jusqu'au couchant- qui n'évite cependant pas la douleur et le fiel de la jalousie.

La chair rayonne, le cœur palpite, les mots s'envolent comme des papillons. On n'est plus tout à fait au cinéma. On a 20 ans et on est à Sète. Merci Addellatif Kechiche !… (mere)